Depuis toujours, les personnes handicapées étaient considérées comme des personnes asexuées, car il était admis que le désir et le plaisir étaient incompatibles avec les souffrances qu’elles éprouvaient. Cette idée a été nommée « angélisation » puisque comme il se doit, les anges ne possèdent pas de sexe.
Et jusqu’à il y a peu, on ne parlait donc pas de la vie sexuelle des personnes handicapées, ce n’était sans doute pas réellement un tabou, mais cela n’intéressait pas puisque dans les mentalités, cette vie sexuelle, elle n’existait pas. Il y avait quand même eu assez récemment (en 1994 et en 2001) les ouvrages remarquables de Bernadette Soulier (« Aimer au-delà du handicap : Vie affective et sexualité du paraplégique » et « Un amour comme tant d’autres ? : Handicaps moteurs et sexualité »). Puis un film, « Nationale 7 » (de Jean-Pierre Sinapi), sorti à la fin de l’année 2000, qui parlait de sexualité et de handicap d’une manière assez « crue », d’ailleurs, et qui à ma connaissance, était le premier film français abordant ce sujet. Et c’est tout.
Aujourd’hui, il semblerait que nous sommes passés d’un extrême à l’autre, et que la sexualité des personnes en situation de handicap soit devenue LE sujet à la mode, puisque les livres, les films, les émissions de télé, les conférences, les expos qui en parlent se multiplient. Avec, au cœur de ce sujet, le débat autour de l’accompagnement sexuel. A priori, en tant que personne handicapée, je devrais m’en réjouir, mais ce n’est pas si simple. D’une part, visiblement, les mentalités n’évoluent malgré tout que très lentement, et l’idée que les handicapés n’ont pas de sexualité, ou ne peuvent pas en avoir, est encore trop répandue. Et d’autre part, d’un point de vue « politique », l’importance donnée au seul sujet qu’est la sexualité est pour moi dangereuse, car elle sert d’écran de fumée, elle occulte toutes les autres revendications des personnes handicapées (l’accessibilité et les moyens d’existence, en particulier).
Je veux être clair, parler de notre sexualité, c’est essentiel, et le débat sur l’accompagnement sexuel n’est pas anecdotique, loin de là. Actuellement, la société, dans son ensemble, considère que les personnes handicapées sont des personnes malades, dont les besoins sont limités, aussi il nous faut changer ce regard. Alors passer de l’angélisation à la sexualisation des personnes en situation de handicap est, symboliquement du moins, totalement essentiel. Il nous faut montrer que nous sommes des hommes et des femmes à part entière, avec les mêmes aspirations que les personnes valides, c’est-à-dire s’instruire, se cultiver, se distraire, travailler, avoir une vie amicale, affective, amoureuse, sexuelle, être parent…. Aussi, revendiquer l’accès à la sexualité (je ne parlerais pas de « droit », car ce droit n’existe pour personne) est sans doute la façon la plus forte de dire que nous sommes avant tout des hommes et des femmes, et non pas des « infirmes », état dans lequel certaines âmes généreuses souhaiteraient nous cantonner…
Et nous considérer comme des êtres humains à part entière est pour moi la condition première pour que notre société devienne naturellement inclusive, ce qui est loin d’être le cas. Et je pense qu’actuellement, si l’on parle énormément de la sexualité des personnes en situation de handicap, on en parle trop, et surtout très mal. Et pour défendre une cause que je qualifierai de juste, certaines personnes en arrivent à justifier les pires choses, il suffit par exemple de parcourir les pages Facebook liés au handicap pour en trouver des exemples effrayants. J’ai déjà lu des justifications d’incestes, par rapport à des parents qui avaient « rendu service » à leurs ados handicapés…. Et récemment, le projet d’un « bordel » pour handicapé d’un proxénète notoire, en Belgique, a été présenté comme la solution qui ferait avancer grandement les choses, si cela devait arriver en France…
Et là, c’est vraiment le délire total ! Pour revendiquer l’accès à la vie sexuelle des personnes handicapées, ce qui est une affaire de dignité humaine, il faudrait accepter que l’on abuse de ses enfants ? Ou que l’on exploite des femmes, 10h par jour, dans des usines à sexe, et sans qu’elles puissent au moins choisir leurs clients ? Je ne suis pas abolitionniste, loin de là, mais lorsqu’on aborde un travailleur du sexe, dans la rue, dans un bar ou sur le net, il a au moins le droit de choisir, ce qui doit rester son droit le plus légitime. Et il peut pratiquer la prostitution librement, de son plein gré, car cela existe.
Alors parlons de sexualité autrement. Dans l’association que je représente, Handiparentalité, nous préférons parler de « vie affective », dans tout ce qu’elle comprend, sans oublier la parentalité, une problématique que l’on commence tout juste à prendre en compte. La sexualité est une chose essentielle, dans une vie d’homme ou de femme, un besoin et un bien-être, un équilibre, mais il ne faut jamais oublier que les personnes handicapées recherchent aussi et avant tout des relations amoureuses, et pas seulement sexuelles. Et dans la société inclusive à laquelle nous aspirons tous, les rencontres amicales et amoureuses seraient grandement facilitées.
Mais bon, en conclusion et en résumé de tout cela, je terminerais par ce principe de base : « je baise donc je suis » !
Texte de Pierre Nazereau, 29 mai 2015
Bravo pour ce texte, qu’il ne soit que le début d’une longue série.
Aimer, caresser, désirer pour tous parce qu’au-delà des maux nous sommes égaux…
Je suis inculte sur le sujet…et je lis ici le rapport à la “norme” qui est interrogé, tout comme des propositions de “sexualité de seconde zone” croyant répondre au besoin.
J’aime particulièrement l’esprit de NXPL qui élargit le regard et respecte fondamentalement l’individu. Merci pour cet article.
Tout le monde a droit à l’épanouissement et au bonheur…je sais, cela fait un peu cliché, mais le rappeler ne me semble pas inutile.
Eh oui, la société à besoin de grandir… On passe d’un extrême à l’autre tel un ressort trop compressé qui saute trop haut. Espérons que le ressort reprenne rapidement sa forme originale telle notre société qui intégrera parfaitement la sexualité des handicapés sans éprouver le besoin d’en faire un sujet à la mode.
A bientôt
Helene (hé hé hé !)
bonjour, je suis en fauteuil et j’aime l’expression du ressort 😉 mais en france comme dans d’autres pays, l’idealisation de la norme fait que le ressort ne risque pas de se retendre rapidemment malheureusement…
Plus que la societe c’est l’individu qui dois grandir je crois et qui dois accepter profondement (c est le mot important) l’autre … tout les autres. Je suis moi même handicapé moteur, je vais vous passez les blagues entendu depuis 35 ans et l’auteur du texte en connait surement autant que moi… un détail révélateur c’est que nous sommes exonéré (je ne m’en plaint pas) de la redevance télé … bon par contre il n’offre pas l’abonnement à canal et au carré blanc ben voui à y être 😉 ha mais c’est vrai nous n’avons pas de sexualité 😀 je me permet de reprendre la fin du texte de Mr Nazereau “Je suis donc … des fois, quand j’ai envie je baise !” – voire coup de folie je fais l’amour, j’aime et je bande moue les soirs de beuverie 🙂
En gros juste quand vous voyez quelqu’un assis à une table de bar il est normal non ? et ben dites vous que c’est un gros feignant qui n’a pas envie de se lever et que du coup il reste assis en gros il est normal juste il a des jambes en formes de roues et il galère plus que vous dans le sable (comme une fille avec des talons note) Alors pourquoi cet air méfiant, “con-patissant” atristé quand on veut louer un appart, un boulot, ou draguer une fille ?
Voilà, apprendre à voir des êtres vivants avant toute chose avant toutes les etiquettes qu’on veut bien se mettre.
Homme, Femme, valide, invalide, pédé, salope, soumis, dominante, banquier, eboueur ou geek tout ça n’est qu’illusion avant tout nous sommes tous des Êtres Vivants (bon des fois je me demande)
Merci à tous de contribuer pas après pas vers toujours plus de respect et d’interrelation entre simples Humains
C’est un article qui devrait être massivement partagé. Le sujet traité est un véritable sujet de société. J’apprécie d’ailleurs le ton emprunté pour cet article. Vous posez de vraies questions et décryptez avec brio l’opinion publique. Les illustrations sont drôles et bien choisies. Bref, merci !
les illustrations sont aussi très pratiques et techniques y a trois positions que je ne connaissais pas et qui sont top 🙂