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Education à la sexualité : la loi et la réalité.

Education sexuelle - NXPL

Lors de ma dernière chronique, je m’étais penché sur l’épineux problème (du moins en apparence), de la pornographie et des jeunes. Des jeunesses, des pornographies et, finalement, une question plus complexe qu’il n’y paraît. Mais, et vous commencez à en avoir l’habitude, la sociologie va toujours au-delà des questions qui lui sont posées.

S’il est intéressant de savoir quels sont les publics adolescents concernés et par quels types de contenus pornographiques ils sont influencés (si tant est qu’ils le soient !), une autre problématique émerge rapidement : pourquoi les jeunes regardent-ils des films à contenus pornographiques ? Ne sont-ils pas supposés recevoir une éducation à la sexualité durant leurs années de scolarité ?

Dans un article récent, Adam s’insurgeait à juste titre contre les obscurantistes religieux et autres réactionnaires de tout bord qui répandaient fausses rumeurs sur fausses rumeurs en expliquant que le gouvernement avait comme projet, entre autres, d’enseigner la masturbation à l’école et ainsi corrompre nos chères petites têtes blondes/brunes/rousses (et pourquoi pas d’ailleurs ?

S’il n’est pas question d’organiser des « ateliers pratiques » à ce sujet, en parler serait potentiellement une bonne idée comme l’évoquait une journaliste de Madmoizelle). Il est vrai que, à l’instar des débats sur les jeunes et la pornographie, le sujet est sensible.

Au-delà des échanges virulents sur la volonté de « protéger » (mais est-ce vraiment de la protection ou des angoisses d’adultes ?) les mineurs d’une exposition trop précoce à la sexualité (Ogien, 2003), la question d’éduquer à la sexualité pose question. Après tout la sexualité n’est-elle pas, dans nos sociétés, un sujet relevant de l’intime soit qui « est caché des autres et appartient à ce qu’il y a de tout à fait privé » selon le Larousse ?

Drôle d’idée dès lors de vouloir l’enseigner au plus grand monde. Pourtant, l’éducation à la sexualité est une nécessité dont le législateur s’est récemment emparé.

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Éducation à la sexualité à l’école : une législation plus abondante qu’on ne pense

Il serait faux de penser que l’éducation à la sexualité n’est qu’une conséquence de la « révolution sexuelle ». Si cette dernière fût un moment d’importants changements en ce qui concerne la sexualité, lui apposer le nom de « révolution » est un brin exagéré (mais il faudra que je vous écrive un petit article là-dessus). L’éducation à la sexualité n’est pas subitement arrivée dans le débat des années 60-70 mais a fait l’objet d’un long processus, de la prise de conscience au XIXe siècle de l’intérêt du bio-pouvoir – c’est-à-dire des techniques spécifiques ou des dispositifs de pouvoir s’exerçant sur les corps individuels et les populations (Foucault, 1994) – en passant par la sociologie naissance (Durkheim, 2011) les théories malthusiennes1.

Quoi qu’il en soit, les premiers cours d’éducation à la sexualité institutionnalisés tels que nous les connaissons aujourd’hui sont la conséquence de la circulaire n°73-299 de 1973 dite circulaire Fontanet, du nom de Jospeh Fontanet alors ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Georges Pompidou. La volonté du gouvernement est cette fois clairement affichée : « Il a longtemps été admis que les éducateurs devaient tenir les enfants à l’écart des problèmes de l’âge adulte, et plus spécialement à l’égard de ceux qui concernent la sexualité.

Mais les fables racontées aux plus petits et le silence opposé aux plus grands paraissent aujourd’hui chargées d’inconvénients très lourds, du double point de vue de l’évolution psychologique et de la relation de l’adolescent à l’adulte. Ils sont devenus inacceptables du fait de la civilisation ambiante, de l’évolution des modes de vie, du recrutement mixte des établissements ».

Mais des débats s’engagent : faut-il informer ou éduquer à la sexualité ? Si la première peut s’entendre comme le fait d’indiquer, de renseigner ou de porter à la connaissance d’un public un ensemble de faits liés à un sujet en particulier, ici la sexualité, la seconde vise à conduire la formation des adolescents et des enfants tout en les formant à un domaine d’activité spécifique.

Après moult débats, c’est l’information à la sexualité qui est préférée, l’éducation étant laissée aux bons soins des familles. Aussi, si l’on utilise aujourd’hui l’expression « éducation sexuelle », il ne s’agit que d’un effet de langage car seule l’information prévaut dans les établissements scolaires. Conséquence de cette circulaire, c’est davantage les fonctions biologiques qui seront étudiées, domaine des professeurs de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) comme le précise une nouvelle fois la circulaire Fontanet : «  [l’information à la sexualité] viendra s’insérer normalement et tout naturellement dans les programmes de biologie : d’abord simple sensibilisation aux problèmes des commencements de la vie, puis reconnaissance du vivant et discernement des différentes fonctions vitales, enfin, étude du corps humain et de son fonctionnement ».

Suite à cette circulaire, plusieurs lois et circulaires viendront compléter cette première législation : une note de service rédigée en 1981 par le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary, introduit l’information à la contraception dans les écoles ; la circulaire Chevènement de 1985 impose une éducation sexuelle obligatoire dans les écoles primaires avant qu’un décret en 1992 ne favorise les rapprochements entre les associations et le monde éducatif ou la circulaire n°95-100 du 15 avril 1996 intitulée « prévention du sida en milieu scolaire : éducation à la sexualité ».

Une application limitée de la loi

Bien que de nombreux textes aient été adoptés durant plusieurs décennies, ceux-ci n’étaient que peu appliqués sur le terrain. Il faudra ainsi attendre la circulaire n°98-234 du 19 novembre 1998 pour qu’une réelle mise à jour soit faite de la législation existante. Intitulée « Éducation à la sexualité et prévention du SIDA » et venant remplacer la circulaire Fontanet de 1973, le texte part du constat que cette dernière permettait « de réaliser une information sur la sexualité » mais que les enseignements réalisés n’ont pas toujours eu « la portée éducative nécessaire » et que des enseignements supplémentaires n’ont été que très rarement été mis en œuvre.

Si la lutte contre le VIH est central dans ce texte, on observe néanmoins une première prise en compte des autres dimensions de la sexualité humaine puisque la circulaire reconnaît que celle-ci « intègre également des dimensions psychologiques, affectives, socio-culturelles et morales qui, seules, permettent un ajustement constant aux situations vécues des hommes et des femmes, dans leurs rôles personnels, parentaux et sociaux », prélude aux futures questions de genre qui n’interviendront que plus tard dans le débat.

Mais c’est la loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception et la circulaire n°2003-027 du 17 février 2003 qui marqueront une avancée significative dans l’éducation à la sexualité.

Précisant les modalités d’application de cette dernière, l’article 22 introduit une mesure intéressante relative à la fréquence des séances dédiées à la sexualité en classe. Jugez plutôt : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. Ces séances pourront associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire et des personnels des établissements […] ainsi que d’autres intervenants extérieurs […] Des élèves formés par un organisme agréé par le ministère de la santé pourront également y être associés ».

Quant à la circulaire n°2003-027, celle-ci fixe six objectifs pédagogiques :

En addition de ces six objectifs, la circulaire vient également préciser que la question de l’éducation à la sexualité ne peut être réglée collectivement mais devra être prise en charge « par tout adulte de la communauté scolaire. Dans les enseignements, à tous les niveaux, les programmes des différents champs disciplinaires – tels que la littérature, l’éducation civique, les arts plastiques, la philosophie, l’histoire, l’éducation civique juridique et sociale… – offrent, dans leur mise en œuvre, l’opportunité d’exploiter des situations, des textes ou des supports en relation avec l’éducation à la sexualité selon les objectifs précédemment définis. Les enseignements scientifiques liés aux sciences de la vie occupent une place spécifique mais non exclusive dans ce domaine. ».

Prenons un instant pour analyser tout cela.

Lorsque les gouvernements successifs de ces dernières années déclarent vouloir mettre en place des cours d’éducation à la sexualité et au genre – on pensera notamment aux ABCD de l’égalité proposés par Najat Vallaud-Belkacem en 2012 – c’est oublier que les textes existent déjà. La circulaire Schiappa de 2018 n’est d’ailleurs qu’une redite de la loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 mais qui n’a jamais été appliquée !

Pourtant tous les moyens sont donnés pour assurer une bonne éducation notamment par les objectifs envisagés, suffisamment larges pour que tous les aspects de la sexualité dans sa diversité soient abordés. Mais, détail important, l’éducation à la sexualité n’est plus l’apanage des enseignants et enseignantes de SVT.

Alors que la circulaire Fontanet prévoyait que ces cours seraient exclusivement assurés par eux, la circulaire n°2003-027 prévoit que l’ensemble de la communauté éducative – soit les personnes allant des surveillants jusqu’au proviseur en passant par les professeurs – puissent se saisir de cette thématique s’ils ou elles le souhaitent. Et pour avoir travaillé longtemps comme surveillant dans des lycées, je peux vous assurer qu’il est tout à fait possible d’échanger sur la sexualité avec les élèves, peu importe leur orientation sexuelle, leur genre ou que sais-je encore !

Connaissant ma spécialité en sociologie et me voyant me balader régulièrement avec des livres traitant de ces sujets sous le bras, mes collègues m’ont souvent dit : « Oh mais fais attention avec ton livre ! Les élèves faut pas leur parler de ça ». Or il m’est très régulièrement arrivé d’échanger avec les élèves à ce sujet, afin de parler de consentement, de rôles genrés ou encore de désir. Pourtant, rien n’est fait concrètement pour assurer ces cours – bien que cela soit théoriquement imposé par la loi – et l’ensemble de la responsabilité de ces cours repose sur les enseignants de SVT qui sont souvent démunis face à la complexité du sujet qui leur est imposé.

De plus, l’éducation à la sexualité ne doit pas uniquement se dérouler sur une ou deux séances maximum sur l’ensemble de la scolarité des élèves. Bien au contraire, la loi prévoit de deux à trois séances annuelles ! Pouvant débuter au CP ou en grande section de maternelle, le but de celles-ci n’est pas de décrire en détail et à grands renforts d’images et de vidéos ce qu’il est possible de faire sexuellement, mais d’éduquer progressivement à ce sujet.

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Ainsi, alors que les plus jeunes découvriront le fonctionnement de la biologie et des rôles de genre (par exemple en posant la question de savoir s’il est possible pour un garçon de pleurer et d’amener les enfants à se questionner à ce sujet), plus les jeunes avanceront en âge, plus ils découvriront des aspects concrets de la sexualité (avec la contraception notamment) avant de terminer en classe de terminale par s’interroger sur les normes et les possibilités relationnelles alternatives (n’oublions pas que la philosophie est enseignée à partir de cet âge et la sexualité est un excellent sujet de débat trop peu étudiée).

Ce n’est ni plus ni moins que ce qui est prévu par la loi. Fort malheureusement, rien n’a été appliqué ou presque. La faute à des individus qui, s’ils se targuent d’être libérés, n’en sont restés qu’à une réalité bien éloignée de la situation actuelle.

Appliquons la loi

Les jeunes ne regardent pas spontanément du porno. Ils ne le font que pour palier un manque sociétal, celui de les éduquer à la sexualité.

Cette éducation est une nécessité. Non pour le plaisir de voir nos jeunes s’ébattre joyeusement avec moult partenaires et pratiquer la sexualité la plus débridée qui soit (encore que, si tout le monde est consentant et que les gens se protègent, il n’y a aucun mal à cela) mais pour plusieurs raisons évidentes.

D’une part pour éviter la propagation d’infections sexuellement transmissibles qui font encore tant de ravages et plus encore si aucune politique n’est mise en place.

Ainsi, aux Etats-Unis, un lycée qui enseignait aux élèves l’abstinence comme moyen privilégié de lutter contre les IST a été confronté à une importante épidémie de chlamydia qui a touché une vingtaine de ses élèves. Penser que ne pas parler de sexualité aux jeunes empêchera de se mettre cette idée en tête est un argument fallacieux en plus d’être potentiellement dangereux.

Dangereux parce qu’ils peuvent, comme cet établissement nord-américain, être contaminés par tout un tas de saloperies qui auront des conséquences sur leur santé. Mais, même en attendant le mariage pour copuler, un manque d’éducation à la sexualité peut avoir des conséquences sur la procréation.

En Chine, un couple de jeunes mariés ont essayé pendant 4 ans d’avoir un enfant. Problème, ils n’avaient que des rapports… anaux. Si l’histoire peut faire sourire et est sujette à controverse sur sa véracité, elle montre bien jusqu’où l’ignorance en matière de sexualité peut mener.

Enfin, et d’autre part, l’éducation à la sexualité est une nécessité dans le combat pour l’égalité hommes-femmes. Il ne s’agit pas tant de faire en cours un étalage des différentes pratiques, positions et ustensiles pour se faire plaisir qu’une éducation au consentement, au respect de soi et des autres.

Ne pas éduquer à la sexualité avec tout ce que cela comporte comme dimensions – consentement, plaisir, pratiques, maladies et infections ainsi que la contraception – c’est prendre le risque de replonger les femmes dans l’ignorance dans laquelle celles-ci ont été maintenues durant des siècles, tributaire de la volonté et des désirs des hommes, répudiées et mises au ban de la société lorsqu’elles ne satisfaisaient pas à une pureté fantasmée.

Éduquer à la sexualité c’est dire aux jeunes femmes qu’elles sont libres de faire ce qu’elles veulent, quand elles veulent avec qui elles veulent ; c’est enseigner aux jeunes hommes à respecter leur partenaire, d’oser s’exprimer et de remettre en question une masculinité qui, elle aussi, fait beaucoup de dégâts.

Enfin, cela peut permettre de dépathologiser des orientations sexuelles et des identités de genre encore trop montrées du doigt et stigmatisées. C’est faire le choix d’une société plus ouverte. Une véritable révolution sexuelle en somme.

Pour aller plus loin

  1. De Luca Barrusse, Virginie. et Le Den, Mariette (dir.). Les politiques de l’éducation à la sexualité en France : avancées et résistances. Paris : L’Harmattan.
  2. Durkheim, Emile. (2011). Sur l’éducation sexuelle. Paris : Payot.
  3. Dusseau, Félix (2018). Education à la sexualité : le cas français, partie 1. Les 3 Sex. Récupéré de https://les3sex.com/fr/news/103/education-a-la-sexualite-le-cas-francais-partie-i
  4. Dusseau, Félix (2018). Education à la sexualité : le cas français, partie 2. Les 3 Sex. Récupéré de https://les3sex.com/fr/news/261/education-a-la-sexualite-le-cas-francais-partie-ii
  5. Foucault, Michel. (1994). Histoire de la sexualité tome 1 : La volonté de savoir. Paris : Gallimard.
  6. Mossuz-Lavau, Janine. (2002). Les lois de l’amour : les politiques de la sexualité en France, de 1950 à nos jours. Paris : Payot.
  7. Ogien, Ruwen. (2003). Penser la pornographie. Paris : Presses Universitaires de France.
  8. Poutrain, Véronique. (2014). L’évolution de l’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires ». Dans Éducation et socialisation, 36 | 2014. Récupéré de http://edso.revues.org/951
  9. Le site de l’association SVT – Égalité, projet visant à un enseignement plus égalitaire, notamment en matière de sexualité.

1 Je ne vais pas vous barber avec une histoire de l’éducation à la sexualité. Je vous recommande plutôt pour cela les ouvrages de Virginie Luca Barrusse et de Janine Mossuz-Lavau à ce sujet.

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