j’aime à croire que mon aspect est assez ordinaire,
rien de bien extravaguant,
une certaine conception esthétique, vintage et colorée, sur les bords,
certes, un peu originale, hors des clous,
qui se retrouve aussi dans mes habits
mais à part cela, un homme sans aucun signe particulier,
il me semble, en tout cas
mais intérieurement,
je me suis rendu compte aujourd’hui
que je me sentais entièrement androgyne,
pas seulement dans l’action amoureuse,
comme je l’ai déjà maintes fois décrit
mais dans la vie de tous les jours, aussi
c’est difficile à expliquer
mais je me sens autant femme qu’homme,
sans que je ressente le besoin particulièrement
d’extérioriser cela,
d’exprimer cela, sinon dans ma pratique
peut-être est-ce une question de génération,
si j’avais été plus jeune,
j’aurai plus envie de faire ressortir cette ambivalence,
de la vivre au quotidien,
dans mes vêtements, par exemple,
dans mon comportement
aujourd’hui,
suis passé devant un magasin de vêtements féminins,
à un moment donné,
je me suis surpris à me dire,
“tiens, cela me plairait bien pour moi, je porterai bien cela”
mais cela n’a duré qu’un instant,
j’ai passé mon chemin
et cela ne m’a plus travaillé pour un sou
peut-être est-ce aussi une question d’entourage,
de la mentalité des gens qui nous entourent,
de ma jeunesse,
dans les marges, à Bruxelles, Amsterdam et un peu partout en Europe,
à vivre la vie de bohême avec des artistes, des vagabonds magnifiques,
des partouzards, des baba cool, des intellectuels, des journalistes, etc
des gens pour qui souvent l’art, la littérature, une forme de quête intérieure, comptaient avant tout,
qui n’étaient pas obnubilé par leur comfort matériel et leurs possessions,
des gens, souvent, aux idées larges, extravagantes, folles,
dangereuses, parfois, pour eux-mêmes et pour les autres
et qui l’ont payé de leur vie,
de tout cela, il ne reste plus grand chose
les gens dans mon métier,
le métier que je vais bientôt quitter,
le milieu dans lequel je suis immergé depuis deux bonnes décennies
sont des gens plutôt ouverts mais tout de même bien dans les clous
à la retraite quand j’aurai tout mon temps,
je vais essayer de renouer avec toute cette faune extravagante de ma jeunesse
à laquelle je crois que j’appartiens plus
et , au fond, qui m’a toujours manquée
peut-être n’est-ce qu’un leurre,
une nostalgie sans lendemain possible,
que je suis resté trop longtemps dans mon coin,
engoncé dans des apparences bien bourgeoises,
que le passé est le passé
on va voir,
je sais que j’ai envie de vivre les dernières années de ma vie,
avec certains types de gens
ou alors je préfère encore rester seul dans mon coin
avec tous mes livres, mes films, les livres d’art,
ma sexualité en solitaire, bien au point,
je suis plutôt autonome,
ma vie intérieure est riche, très riche
donc je ne crains pas la solitude,
pas pour un sou
mais pour en revenir à l’androgynie,
le féminin a pris sa place en moi
et j’aime tellement cela,
je me sens tellement bien comme cela,
je me sens irrigué,
je me sens comme une plante
qui reçoit désormais les bons engrais
et qui pousse magnifiquement,
qui s’épanouit