Pouvez-vous nous dire un peu plus sur votre parcours et pourquoi vous avez commencé à produire des films pornos ?
Je me considère comme une réalisatrice. Je produis mes propres films mais je suis aussi une créatrice.
J’ai eu ma première expérience avec le porno étant jeune, et ma première réaction a été une vraie déception. Je n’ai pas aimé ce que je voyais, et rien n’a changé dans les années suivantes.
Cependant, pendant que j’étudiais les sciences politiques, le féminisme et la sexualité à l’Université de Lund, j’ai eu une révélation avec Linda Williams et son livre “Hard Core: Power, Pleasure, and the “Frenzy of the Visible””. Ce livre constitue le premier ouvrage qui a vraiment étudié le porno comme un genre avec sa propre histoire, comme une forme cinématographique spécifique, et comme une partie importante du discours contemporain sur la sexualité.
Ainsi au lieu d’avoir un angle moralisateur, ce qui arrive souvent au sujet du porno, ce livre utilise une approche académique et objective des sujets abordés dans le porno. Cela m’a fait penser différemment. Je réfléchissais depuis longtemps à la structuration du porno mais je n’avais pas vraiment été en mesure d’aller plus loin parce que je n’avais pas trouvé les bonnes théories à ce sujet, ou je n’avais pas le bon état d’esprit pour en discuter.
Erika Lust et Pablo Dobner
J’ai alors compris que le porno mainstream (ou commun dans la suite de l’article) n’est pas quelque chose qui reflète des vérités ou réalités sur le sexe – mais que cela représente une déclaration, une idée, exprimant des idéologies et des valeurs, des opinions sur le sexe et le genre.
Au plus j’apprenais sur la pornographie, au plus j’avais envie d’essayer de créer quelque chose de totalement différent dans le genre – une alternative – selon mon goût, quelque chose qui pourrait exprimer mes propres idées et valeurs.
J’ai alors commencé à diriger des films adultes tel que je les aurais j’apprécié personnellement et que d’autres femmes et hommes en quête de quelque chose plus frais, sensuel et éthique apprécieraient aussi. Le résultat a été “The Good Girl” en 2005 !
Quelle est votre opinion sur le porno (mainstream) que l’on voit partout ? Comment vous vous différenciez de ce porno là ?
La pornographie communément rencontrée projette une sexualité pour les femmes qui n’existe uniquement qu’au profit des hommes. Or, Il n’est clairement pas secret que les valeurs misogynes et sexistes portées par cette pornographie nous impacte négativement, dépeignant des femmes comme des purs objets sexuels.
Le sexe est quelque chose que femmes font avec les hommes mais aussi inversement. Or la pornographie montre presque uniquement le plaisir des hommes où les femmes sont utilisées pour les satisfaire, et rien pour elles-mêmes.
Même s’il existe de nombreuses catégories et étiquettes qui répondent à tous les tendances et fétichismes imaginables, au final c’est toujours les mêmes parties de corps qui sont utilisées de la même façon.
Mes films envoient un message positif sur la vaste gamme des différentes sexualités tout en montrant le sexe comme ludique et plein de passion. Ils reflètent mon point de vue sur une sexualité naturelle et positive que nous devrions célébrer dans nos vies. Je montre des femmes et des hommes qui jouent sexuellement ensemble tout en essayant de rendre les scènes aussi esthétiques, belles et captivantes que je puisse. Oh ! Et les artistes montrent du réel plaisir et les orgasmes ne sont pas du tout truqués !
Je pense aussi qu’il est important d’être éthique sur les messages que nous promouvons dans nos histoires – que tout est fait dans le consentement, de ne pas montrer de scènes irresponsables ou qui aient quoi se soit à voir avec la contrainte … Ce qui est d’ailleurs quelque chose dont la pornographie ne soucie pas vraiment ! Il suffit de voir les publicités “baise avec une adolescente” et pop-ups des Xtubes fleurir sur Internet !
Est-ce que les parts de marché actuelles des tubes de l’industrie du porno ont une influence sur votre travail et films ?
Pas du tout. J’ai ma propre voix et mes propres perspectives. En fait, je ne me sens même pas appartenir à l’industrie pornographique. Je suis une directrice de films et une productrice de cinéma indépendante pour adultes.
Avez-vous des enfants ? Voyez-vous un impact du porno dans leur vie ?
Oui ! J’ai deux belles filles, de 6 et 9 ans. Peut-être qu’elles sont trop jeunes pour votre question, mais évidemment c’est une chose à laquelle nous devrons faire face à maison dans le futur.
C’est quelque chose qui m’a inquiété pendant une longue période, et récemment mon mari et PDG de Erika Lust Films, Pablo Dobner et moi avons justement décidé de faire quelque chose à ce sujet.
De l’importance d’expliquer aux enfants que la pornographie et la sexualité ne portent pas les mêmes valeurs
Vous avez donc récemment lancé ThePornConversation.org, pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez démarré cette initiative ?
Nous avons lancé le projet « The Porn Conversation » (http://thepornconversation.org), un site où nous offrons des outils que les parents peuvent utiliser pour aborder le thème de la pornographie à la maison.
Notre mission est de donner aux adultes la possibilité d’aider les enfants et les adolescents à prendre des décisions intelligentes et éclairées, parce que la triste vérité est que, dans notre société moderne, les enfants apprennent la sexualité non pas à l’école, ou par leurs parents, mais par la pornographie. Ce qu’ils apprennent est irréaliste au mieux, raciste, sexiste, violent et homophobe au pire. De plus, la vérité est nous ne savons pas encore comment la pornographie affecte nos enfants.
Comme Cindy Gallop a déclaré récemment : « Ce domaine (la pornographie) va impacter le bonheur de vos enfants plus que tout autre et ce, pour le reste de leurs vies ». Et elle a tout à fait raison. Nos enfants et adolescents sont inexpérimentés et peuvent mal interpréter les situations sexuelles dans la pornographie comme étant en fait la réalité.
Nous voulons que nos enfants grandissent en se respectant les uns les autres, évitant les situations dangereuses, en maintenant le fait que leur corps leur est propre, que toute activité sexuelle doit être mutuellement consentie et qu’ils ne devraient jamais se sentir poussés à participer non volontairement à une activité sexuelle.
Mais en même temps, le sexe est une belle chose et ils ne devraient pas avoir honte de ressentir du désir et des pulsions sexuelles. Trop souvent, quand on parle avec nos jeunes enfants et adolescents, nous parlons des dangers du comportement sexuel, et nous laissons de côté les sentiments positifs. Ils ont également besoin de nos explications sur le plaisir en plus du discours de responsabilisation sur leur sexualité.
Notre objectif est donc d’encourager les parents et éducateurs à se rendre compte que « le discours classique sur la sexualité (Sex Talk) » ne suffit plus. A l’heure actuelle, il est aussi important d’avoir des conversations sur la pornographie. Nous devons avoir avec eux « The Porn Talk ».
Les faits sont là, l’accès à la pornographie n’a jamais été aussi simple et elle est potentiellement accessible partout
Pensez qu’il y a une modification des pratiques sexuelles de nos adolescents en raison de l’influence grandissante de la pornographie ?
Absolument. La pornographie donne aux garçons une image incroyablement irréaliste des désirs féminins.
Lorsque les adolescents ne disposent pas d’autres sources pour leur éducation sexuelle, il y a le danger qu’ils copient ces comportements, qu’ils soient influencés et que le porno leur donne finalement des attentes irréalistes quant à la façon de regarder les autres et d’agir.
Le problème le plus évident notamment avec la pornographie gratuite est qu’elle est très misogyne. Elle perpétue l’idée que les femmes doivent être constamment disponibles pour du sexe et tout en normalisant un comportement dégradant ou violent envers les femmes. D’ailleurs, le porno n’enseigne ni aux femmes ni aux hommes comment communiquer leurs désirs et peut apprendre aux filles à dépendre totalement des hommes pour leur propre plaisir ou encore de prioriser le plaisir du partenaire masculin sur le leur.
Le porno décorréle généralement aussi le sexe des émotions, en particulier la gentillesse, le respect et l’amour tandis que, dans le même temps, il est vu comme une chose sale mise à l’écart du reste des activités de la vie. Cela peut perturber la compréhension de la façon dont le sexe est lié à la sensualité et aux relations. Cela peut être très dommageable car cela sépare le sexe des émotions qui sont laissés de côté comme si elles n’existaient pas. Cela conduit enfin à la pensée que le sexe et le porno sont des activités sales et tabou laissant un sentiment de honte.
Pensez-vous est possible d’éviter à nos enfants d’avoir accès à de la pornographie ?
Non. La pornographie est partout sur Internet. Elle est omniprésente. Vous n’avez même pas à en rechercher : elle peut apparaître sous la forme d’une pop-up ou d’une publicité sur n’importe quel site ! Vous pouvez cependant utiliser un logiciel de contrôle parental pour vos propres ordinateurs, tablettes …
Nous parlons d’ailleurs de contrôle parental dans notre guide pour les parents ayant des enfants entre 9 et 11 ans. Les logiciels de contrôle parental sont une solution pour maintenir l’accès à un Internet sécurisé, amusant et éducatif. Mais ils fonctionnent mieux lorsqu’ils sont utilisés ouvertement et honnêtement avec vos enfants – non pas comme une méthode d’espionnage.
Rien n’est entièrement sûr de sorte qu’il faudra aussi avoir des conversations sur le sujet de la pornographie. Vos enfants vont tomber, un jour ou l’autre, sur de la pornographie. Un copain ayant un smartphone peut lui en montrer à l’école par exemple. La pornographie est simplement inévitable de nos jours.
Alors pourquoi il est important de parler de pornographie avec les enfants ?
Pour la même raison que vous avez à discuter avec eux amitié, nourriture, vêtements, études …
Parce que la sexualité sera une partie importante de leur vie, et que vous ne pouvez pas les laisser être influencés par un type de pornographie qui favorise les comportements misogynes et violents (spécialement envers les femmes), parce que vous voulez que vos enfants soient heureux et qu’ils puissent grandir en devenant des personnes responsables et respectueuses des autres.
Quel pourrait être un simple conseil pour engager une conversation à propos du porno avec nos enfants ?
Soyez honnête et parlez ouvertement à vos enfants. Lorsque vous aurez passé ensemble l’embarras initial, ils vont probablement avoir beaucoup de questions. Vous êtes la personne la plus accessible pour leur répondre, créez-leur un espace de confiance et de discussion pour le faire.
Et ne vous asseyez pas pour avoir “une conversation” avec eux. Il ne faut pas qu’ils pensent qu’ils ont fait une bêtise ou que vous allez leur faire la leçon.
Afin que les parents soient préparés, le site met à disposition, pour le moment, trois guides téléchargeables à destination des parents et qui sont spécifiques à une tranche d’âge. Ces guides permettent d’encourager et de guider la discussion entre les parents et leurs enfants et adolescents.
Il y a aussi une collection grandissante de ressources, articles et vidéos. Dans l’avenir, nous voulons ajouter un espace pour que les parents puissent échanger les uns avec les autres et partager des histoires. Nous sommes aussi en train de parler avec des sexologues réputés qui mettrons à disposition leur expertise pour contribuer aux ressources.
Des ressources de grande qualité sont mises à disposition sur le site ThePornConversation.org
Que pensez-vous du niveau et du système d’éducation sexuelle pour nos enfants et des adolescents ?
L’éducation sexuelle traite souvent (et pratiquement dans tous les pays) simplement de la biologie du sexe, tout en mettant aussi l’accent sur les dangers des IST (Infections Sexuellement Transmissibles) et de la grossesse.
Cela dépend cependant de quel pays on parle. J’ai grandi en Suède, où l’éducation sexuelle est assez bonne mais, l’éducation sexuelle n’est pas encore une obligation légale par exemple au Royaume Uni, et le niveau de connaissance transmise très bas en Espagne.
Je pense qu’il est super intéressant de souligner son importance : le taux de natalité au Royaume Uni parmi les 15 à 19 ans est de 19,7 naissances pour 1000 femmes, tandis qu’en Suède, où l’éducation sexuelle est obligatoire et très développée, le chiffre est de 5,2 naissances pour 1000 femmes.
C’est la raison pour laquelle, si l’éducation sexuelle ne se déroule pas à l’école, il doit se produire à la maison.