Il arrive vite, le jour où l’on grandit et où l’on découvre que nous devons construire une « vie sexuelle ». Une part de notre existence dédiée au questionnement, consacrée à nos envies, nos désirs, nos corps et nos fantasmes. Dans ces films, dans ces émissions, sur ces forums, dans ces discussions : on nous assène que le sexe c’est la vie, que le sexe c’est génial, et que, bien sûr, on aime le sexe.
Cette injonction peut parfois se heurter aux vraies envies et aux vraies pensées de certain(e)s. En tout cas, cette injection s’est heurtée à mes réflexions.
J’ai couché pour la première fois quelques jours avant mes 16 ans. Je pensais en avoir envie, être prête et, surtout, j’étais obnubilée par la sexualité. Dans ma famille, c’était tabou, presque péché. Alors j’y pensais beaucoup et j’y pensais fort. J’étais persuadée de devoir le faire, d’avoir envie de le faire. Parce que mes amis et toute ma culture me le présentaient de cette façon, et que le mystère autour crée par mes parents me poussait à déterrer un trésor que je croyais flamboyant.
Vous vous en doutez, le trésor n’a pas été si brillant que ça. Une première fois, puis une deuxième, une troisième, une quatrième. En somme, tout un tas d’expériences, poussées par le désir de correspondre à ce que disaient les autres du sexe et de ses bienfaits. Sans jamais le remettre en question, sans jamais me demander si ça me faisait vraiment plaisir, ou si j’en avais vraiment envie. Parfois, je me forçais un peu au début des rapports, parce que c’était mon copain, parce qu’aimer le sexe c’était normal, parce que si je ne le faisais pas j’allais frustrer ou déplaire à quelqu’un.
Plus le temps avançait, plus je sentais que quelque chose clochait. Je souffrais pendant l’acte. Je rongeais mon angoisse après l’acte. Surtout, je me persuadais avant l’acte.
Puis j’ai découvert le milieu libertin, ses libertés, son écoute, ses personnes expérimentées. Ses discours bienveillants sur l’envie et le respect de l’envie. Alors j’ai appris à écouter. A m’écouter moi.
Ce n’est que depuis récemment, à 23 ans, que je peux me dire -presque- épanouie sexuellement. Que je ne me force -presque- plus. Que j’aime -presque- toujours ça quand je le fais. Ce n’est surtout que depuis récemment que j’ai appris à assimiler les hauts joyeux et les bas vides de ma libido. J’ai enfin compris que je n’avais effectivement pas constamment envie de sexe, voire que, parfois, le sexe me semblait fade, inutile, de trop.
Dans ces moments de « vide », je n’aime plus le sexe. Je pose un œil colérique et cynique sur ceux qui en parlent, ceux qui en veulent et ceux qui le pratiquent. Dans ces moments-là j’aimerais que la société arrête de nous promettre la bienfaisance du sexe. Dans ces moments-là, je me rends compte à quel point nous sommes entourés de références et d’injonctions sexuelles. C’est pour ça que je suis tentée, et que je l’ai écrit, d’appeler ces moments des « moments de vide ». En vrai, il n’en est rien.
Ces moments ne sont pas plus vides que nos moments pleins d’envies et débordant de désir. Ces moments sont ce que nous sommes, et nous sommes tout autant nous-mêmes et importants sans sexe. Je suis triste que la sexualité doive être nécessaire, qu’elle soit intrinsèquement liée à une notion de besoin que tout le monde n’a pas (loin de là).
Je pense aux asexuels qui s’épanouissent sans envies, mais je pense aussi à ce nombre incalculable de gens qui veulent pouvoir vivre sans sexe, ou qui ont ces phases de basse libido incontrôlables. Il faut rendre normal et humain le fait de n’avoir pas toujours envie, de ne pas toujours tout aimer comme les autres et surtout, de ne pas trouver le sexe important ou toujours salutaire et heureux.
Quant à moi, je peux passer des mois, parfois même un an, sans avoir envie de coucher avec quelqu’un. Sans avoir envie d’un baiser, d’une once de caresse sexuelle. La seule chose qui m’empêche de vivre sereinement dans ces instants, c’est toute cette culture et cette incompréhension du manque de libido. Ce sont ces « T’en fais pas, ça reviendra » (comme si je ne pouvais pas vivre sans), ces « oh ma pauvre, c’est triste ça » (non, puisque je n’en souffre pas sans ces remarques).
Il faut réellement apprendre à considérer les variations de libido comme un fait hautement humain. Il faut arrêter de prôner l’omniprésence du sexe pour tous, lorsque ce « tous » n’est pas unanimement convaincu de ses bienfaits. Et alors, nous pourrons, et je pourrai, vivre ces instants sans désir paisiblement, sans honte, sans regrets, sans me forcer pour me conformer. Pour, aussi, encore plus apprécier ces moments où la libido revient, où elle crie famine, et où je m’enveloppe de plaisirs qui, quelques jours auparavant, n’étaient que de vastes souvenirs rebutants.
Je passe des mois sans libido et sans sexe, et, pourtant, je suis tout aussi épanouie que d’autres. Je fais l’amour lorsqu’une véritable envie est là, même si elle l’est moins souvent que pour d’autres. J’ai des jouets, des pratiques sexuelles particulières, des amoureux.ses et des amant.e.s.
Et je n’ai plus honte.
Témoignage de Terpsy
Merci pour ce témoignage bienvenu dans ce monde de “normes”. Vive l’écoute et la bienveillance. Vive les sexualités et les non envies.