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Les ados et le porno : de la nécessité de se poser les bonnes questions (partie 1)

Nous avons, au cours des derniers articles, abordé les différentes façons dont la sociologie abordait l’étude des sexualités. Qu’il s’agisse des méthodes, du choix d’un objet d’étude ou de la position du chercheur face à son sujet, vous avez désormais une vision d’ensemble des problématiques et questionnements qui s’offrent à nous lorsque nous décidons d’étudier des thématiques aussi variées et sensibles que l’intime, l’amour et les sexualités. Il est donc temps à présent d’entrer dans le vif du sujet et de nous intéresser à des choses plus précises que de simples (mais néanmoins nécessaires) questions de méthodes.

Mais laissez-moi vous raconter comment je suis arrivé sur Nouveaux Plaisirs en tant que chroniqueur. Alors que je connaissais le site depuis quelques années déjà, un débat s’est engagé sur Twitter concernant les adolescents et le porno.

Selon l’article relayé, 1 adolescent sur 5 regarderait du porno au moins une fois par semaine. Je faisais alors remarquer que pornographie et adolescents étaient deux concepts qui ne voulaient pas dire grand-chose en soit et qu’il était nécessaire de mieux les définir afin de comprendre véritablement le problème.

Après quelques péripéties, me voici dans le temple de la sexualité libre et décomplexée à vous abreuver de mes réflexions hautement sociologiques (ou à vous gaver, c’est selon les points de vue). Cette anecdote me permet donc d’introduire un sujet épineux et sujet à d’importantes batailles musclées, j’ai nommé la pornographie et les jeunes.

La pornographie : un concept flou

Rappelez-vous ce que je vous avais dit dans mon premier article sur les liens entre sexualité et sociologie : l’un des buts de cette dernière est d’interroger les prénotions, soit les idées préconçues et spontanées que nous tirons de nos connaissances générales ou de nos expériences de vie. Mettons cela en pratique.

Lorsque je vous parle de pornographie, à quoi pensez-vous ?

Prenez quelques instants pour y réfléchir. C’est bon ? Bien, continuons.

Pour certaines personnes, la pornographie évoquera un très mauvais jeu d’acteur, un scénario bancale et surtout utilisé comme prétexte à des galipettes (« bonjour, je suis le plombier et je viens réparer votre évier… Hum c’est un problème de tuyauterie madame, laissez-moi vous déboucher tout cela avec mon gros outil » phrase évidemment à prononcer avec un accent du Sud), des acteurs stéréotypés au possible (un homme grand, musclé avec un sexe surdimensionné ; une femme plantureuse avec une énorme poitrine, désirant constamment du sexe et prête à tout pour satisfaire l’homme présent dans la pièce) et une combinaison de positions qui feraient pâlir d’envie n’importe quel contorsionniste du Cirque du Soleil.

Pour d’autres en revanche, la pornographie va être un état d’esprit, un ressenti, une réflexion sur l’obscène et l’intime avec une esthétisation de ceux-ci. La pornographie évoquera pour certaines personnes un certain sens de l’interdit, du sexe violent et cru qui les émoustillera quand d’autres n’y verront que domination masculine, exploitation du corps de la femme, du mal-être ou de la misère de pauvres femmes sans le sou et d’un dévoilement des choses de l’intime qui mériteraient de rester secrètes. Nous le voyons ici, la pornographie est une belle prénotion comme nous autres sociologues les aimons. Mais que cache-t-elle au fond ?

Selon le dictionnaire Larousse en ligne, la pornographie s’entend comme la « présence de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires ou artistiques ; publication, spectacle, photo, etc., obscènes ». Nous voilà donc peu avancé.

Venant du grec pornê (prostituée) et graphê (écriture), le concept de pornographie viserait littéralement l’écriture des prostituées soit les manières de représenter la sexualité, que cela soit de manière symbolique ou littérale, en la sublimant ou en la dégradant.NXPL Pornographie 01 histoire

On commence déjà à y voir un peu plus clair : la pornographie toucherait aux représentations de la sexualité, certains considérant ces images comme obscènes, d’autres y voyant une démarche esthétique et artistique. Ce faisant cela nécessiterait l’existence d’une définition collective de ce qui relève ou pas de l’obscène. Dès lors, tout ne serait qu’une question de point de vue.

Dans une affaire récente, le réseau social Facebook avait censuré le célèbre tableau de Gustave Courbet « L’origine du monde » au motif que ce dernier contrevenait aux règles d’utilisation dudit réseau. Pour le géant américain il s’agissait de pornographie, quand un nombre important de personnes estimaient qu’il s’agissait d’une œuvre d’art, certes explicite, mais d’une œuvre d’art tout de même.

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L’origine du monde – Gustave Courbet

On le voit, définir ce qu’est la pornographie pose d’emblée problème. Mais soyons beau joueur et prenons la définition communément admise lorsque l’on parle de pornographie : le fait de photographier ou de filmer un acte sexuel avec une ou plusieurs personnes (voire carrément beaucoup plus) de manière explicite.

Mais, malgré cette définition apparemment simple, d’autres questions se posent encore : la pornographie est-elle monolithique et ne propose-t-elle que les mêmes contenus ? Est-ce un problème que les individus regardent ce type de films ou d’images et si oui pourquoi ? Car déclarer que la pornographie est un problème amène d’emblée à mon sens à se demander : de quelle pornographie parle-t-on ?

Une production de chez Jacquie et Michel aura peu de choses à voir avec un film de Lucie Blush ou de A Four Chambered Heart (je leur fait volontairement de la pub car c’est génial. Allez donc y faire un tour) si ce n’est l’étiquette de « film pornographique ». Le premier reprend les codes traditionnels du porno – plaisir essentiellement centré sur l’homme, hétérosexualité mise en avant, gros plans sur la pénétration etc – quand les second auront une approche plus féministe et esthétique.

De plus, la pornographie en tant que telle n’est rien si elle n’entre pas en écho avec les usages qu’en font les individus. Vu le nombre hallucinant de catégories disponibles sur les sites pornographiques, il serait bon de se concentrer sur les recherches qu’en font ces derniers.

En France, selon une enquête de l’IFOP de 2014, 47 % des français ayant déjà visionné un film pornographique déclarent avoir tenté de reproduire une position vue dans ces films. En revanche, filmer ses ébats ne concerne que 11 % des personnes interrogées.

Une étude de pornhub en 2016 montre que les femmes recherchent davantage des vidéos centrées sur leur plaisir (avec des termes comme lesbian ou encore threesome) quand les hommes se concentrent plus sur le statut (avec des termes comme milf ou step mom – allez savoir pourquoi !).

En soit, difficile d’en déduire que la pornographie est le mal absolu. Rien de choquant à ce que les individus s’inspirent du porno. On a tendance à opposer pornographie et « vraie » sexualité. Mais qu’est-ce qu’une « vraie » sexualité ? Un couple se lançant avec joies dans les pluralités masculines après avoir vu un porno a-t-il une sexualité moins authentique qu’un couple n’ayant qu’un missionnaire mensuel mais qui n’a jamais regardé de porno ?

Nos sociétés sont aujourd’hui traversées par des tensions entre « naturel » et « artificiel » soit entre ce qui tient de l’inné et de l’acquis. Montrer du doigt la pornographie comme fausse sexualité me semble relever de ce même débat. Nous devenons allergique à ce qui ne nous semble pas naturel et souhaitons à tout prix vivre des choses authentiques.

Or la pornographie, en ce qu’elle met en scène des formes de sexualité, nous paraît insupportable face à une pratique que nos sociétés ont érigé en berceau du naturel et de la spontanéité (« Le sexe ne s’apprend pas, il se vit et se ressent », « Le sexe ? Ça vient comme ça ! » sont des phrases que l’on pourra entendre régulièrement à ce sujet).

Partant de là, rien de surprenant à ce que nous soyons réticents à ce que les ados se mettent à en regarder.

La jeunesse n’est qu’un mot

Mais ne soyons pas malhonnête. Je sais bien qu’on me rétorquera qu’un(e) ado de 11 ans qui tombe sur la vidéo d’une actrice en plein bukake avec 20 partenaires n’est pas du meilleur goût. Et vous avez raison.

Parce que la pornographie est omniprésente sur le net – bien qu’elle soit difficile à quantifier – il n’est pas acceptable de l’imposer à qui ne le voudrait pas. Mais avant de nous intéresser sur le fait de savoir s’il est bon ou mauvais pour des ados de regarder du porno, questionnons nous sur cette notion de « jeunesse ».

Pour le sociologue Pierre Bourdieu, la division entre les âges est arbitraire et qui est, dans toutes les sociétés, un prétexte de lutte et de pouvoir. Dès lors, l’adolescence n’est qu’une construction sociale que notre société a patiemment construit. Cette dernière est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ; Parler de « la jeunesse » ou « des jeunes » est en soit une manipulation : quoi de commun entre un jeune de milieu populaire qui commence à travailler à 16 ou 18 ans et un jeune de milieu aisé, entrant dans une grande école et disposant des moyens financiers pour vivre sa vie comme il l’entend ? Rien, absolument rien si ce n’est l’âge biologique et le statut de « jeune ».

Et encore il ne s’agit ici que d’une distinction basée sur les conditions matérielles d’existence ! Ajoutez à cela le genre ou encore l’apparence vestimentaire (on m’appelait « monsieur » quand, à 20 ans, j’allais acheter mon pain en costume trois pièces et « jeune homme » quand j’y allais façon « gothique en retour de soirée ») et cela fait dire à Bourdieu que « la jeunesse n’est qu’un mot ».

Revenons donc à notre sujet principal. Dire « les jeunes regardent beaucoup de porno » ne veut rien dire en soit. D’une part comme nous l’avons vu car la pornographie est plurielle. D’autre part car de qui parle-t-on lorsque l’on dit « jeunes » ? Du jeune fils de médecins ou du jeune de banlieue ? Des garçons ou des filles ? Des personnes résidant en ville ou à la campagne ?

NXPL Pornographie 02 illustration

Si 51 % des adolescents de 15 à 17 ans déclarent avoir au moins déjà surfé une fois sur un site pornographique selon une étude de l’IFOP, lorsque l’on s’intéresse au genre, on tombe à 64 % pour les garçons et 39 % pour les filles. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Que le rapport au porno est extrêmement genré et concerne largement plus les garçons que les filles.

Ce n’est pas parce que les premiers seraient « naturellement » plus attirés par ces images que les secondes. On peut en déduire que les garçons sont poussés vers ce genre de film car on considère qu’ils doivent « assurer » et que la sexualité est un moyen d’expression privilégié de la virilité.

À l’inverse on considère que les filles ne sont pas intéressées par les choses du sexe et préfèrent davantage ce qui touche aux sentiments et à l’amour d’où une proportion plus faible d’adolescentes qui déclarent visionner du porno puisqu’elles n’ont socialement pas nécessairement d’intérêt à cela.

Si 51 % d’ados ayant déjà regardé du porno peut faire peur, il convient de regarder de plus près les chiffres et d’éviter la panique morale. Si 64 % de garçons qui ont déjà regardé UNE FOIS du porno, seuls 24 % l’ont fait une fois dans les trois derniers mois (dont seulement 10 % une fois par semaine), 20 % une fois il y a plus d’un an et 20 % entre les 3 et 12 derniers mois.

D’autres chiffres très intéressant sont ceux de l’influence des films pornographiques sur l’apprentissage de la sexualité. Si 47 % des ados (garçons et filles) se déclarant hétérosexuels affirment que ces films ont eut une influence sur leur sexualité, les proportions montent à 74 % et 75 % en ce qui concerne les personnes bisexuelles et homosexuelles.

Ces chiffres montrent que derrière les cris d’orfraie dénonçant la montée en puissance de la pornographie chez les jeunes se joue une autre réalité : les personnes issues des minorités sexuelles n’ont d’autre source pour construire leur sexualité que la pornographie. Ceci est particulièrement vrai concernant les ados résidant hors de grands centres urbains donc à l’écart des événements concernant ces minorités.

Si certains auteurs comme le sociologue Patrick Baudry ou le philosophe Matthieu Dubost ont respectivement montré les limites de la pornographie ou ses dangers (entre un problème de distance entre l’image et le spectateur pour le premier ; une tyrannie de l’hypervisibilité et une démission de l’interprétation en salissant et aliénant une pratique « qu’on ne saurait représenter » pour le second), il convient de prendre en considération les publics touchés par ces films qui diffèrent, tant en ce qui concerne le milieu social que l’orientation sexuelle et sentimentale.

Mais si des chiffres donnent des indications intéressantes, qu’en est-il de l’expérience concrète des ados vis-à-vis de la pornographie ? C’est ce que nous verrons dans le prochain article.

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