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Sexualité et sociologie peuvent-elles s’entendre ?

Felix Dusseau

Je sens d’ici que la question vous semble saugrenue : vous venez de vous connecter sur Nouveaux Plaisirs afin de glaner des informations sur un nouveau sextoy, des informations sur le libertinage ou simplement vous informer sur l’actualité du monde des sexualités, et je viens vous sauter à la gorge avec mes questions métaphysiques d’universitaire grincheux .

Mais que peuvent donc bien avoir en commun la sociologie et la sexualité ?

Rien de plus légitime que cette question. Lorsque vous vous retrouvez en plein ébat avec une (ou plusieurs !) personne, l’explication à cela est pour vous toute simple : parce qu’elle vous plaisait et que vous en aviez envie, que votre corps a activé certaines réactions physiologiques (érection, sécrétions de cyprine, gonflement des lèvres etc) et que le contexte s’y prêtait – on n’insistera jamais assez sur la question du consentement. Dès lors, rien d’étonnant que le sociologue fraîchement diplômé que je suis soit vu par vous-même comme un trouble fête vous empêchant de copuler en paix. Car si la sexualité dépend effectivement de questions physiologiques et psychologiques, elle est également traversée par des questions sociales et sociétales. Et c’est là que la sociologie entre en jeu.

Mais d’ailleurs, qu’est-ce que la sociologie ?

Selon le site de l’Université de Montréal, cette dernière est « l’étude des relations, actions et représentations sociales par lesquelles se constituent les sociétés. Elle vise à comprendre comment les sociétés fonctionnent et se transforment ». Et si vous avez acquis et intégré les codes élémentaires pour bien se comporter avec autrui (politesse, façon de vous habiller, codes propres à une profession etc), pourquoi la sexualité ferait-elle exception ?

Parce que cette dernière est un sujet bien trop intime et personnel pour que l’on s’y intéresse ? Intime et personnelle, la sexualité l’est assurément. Mais il y a bien d’autres aspects intimes et personnels de nos vies qui font pourtant l’objet d’études scientifiques : la musique (rien de plus subjectif et d’intime que sa réception lors d’une écoute), la mort (désolé de casser l’ambiance) ou encore la nourriture (mes papilles gustatives frétillent à l’évocation d’un bon St Emilion, ce qui n’est pas le cas de tout le monde). Mais d’ailleurs, qu’entend-on par « sexualité » ?

L’un des buts de la sociologie est également d’interroger ce que nous nommons les « prénotions » c’est-à-dire les idées préconçues et spontanées que nous tirons de nos connaissances générales ou de nos expériences de vie. Laissez vous un instant et posez-vous sérieusement la question : « qu’est-ce que la sexualité » ? Allez-y, faites le. C’est bon ? Continuons.

Qu’est-ce que la sexualité ?

Certaines personnes répondront : c’est une activité qui fait du bien. C’est juste mais les adeptes du BDSM ressentent de la douleur lorsqu’ils pratiquent leur sexualité. D’autres répondront : c’est quelque chose qui se fait à deux. Ce à quoi les personnes libertines riront aux éclats. On me répondra que la sexualité est pratiquée pour faire des bébés. Dans ce cas, pourquoi pratiquer la sodomie ou la fellation ? Pour aller plus loin, je poserai même la question suivante : la sexualité était-elle la même si l’on remonte dans le temps et dans les sociétés ? Si les pratiques en tant que telles ne datent pas d’hier, comme la bisexualité par exemple, nos rapports à elles ont parfois changé du tout au tout. Ainsi, dans mon exemple, cette catégorie n’avait pas le même sens auparavant (en Grèce Antique, il s’agissait des personnes hermaphrodites) qu’aujourd’hui (une attirance amoureuse et/ou sexuelle pour des hommes et des femmes).

Selon le dictionnaire Larousse en ligne, la sexualité s’entend comme : l’« ensemble des diverses modalités de la satisfaction sexuelle ». Certes. Mais cela ne nous informe pas sur ce qu’est concrètement la sexualité au sein de nos sociétés. Pourquoi certaines pratiques sont-elles valorisées et pas d’autres ? Pourquoi nos représentations de certaines pratiques varient en fonction d’un certain contexte et d’une certaine époque ? Pour prendre un exemple : pourquoi la bisexualité féminine semble-t-elle plus admise que la bisexualité masculine ? Fût-ce toujours le cas ? Autant de questions auxquelles il est possible de répondre grâce aux outils sociologiques.

Sexualité et sociologie ?

Ces prénotions à propos de la sexualité sont utiles pour comprendre les rapports que nous, individus d’une société donnée, entretenons avec notre corps et celui des autres, l’état des relations entre les hommes et les femmes ou les personnes qui ne se reconnaissent pas dans ces deux catégories (ces fameuses questions liées au genre sur lesquelles je reviendrai dans une prochaine chronique), entre les classes sociales ou que sais-je encore. Bref, étudier les sexualités ne revient pas tant à savoir comment les individus s’envoient en l’air que de comprendre ce qu’elles disent de nous, de notre société et de notre monde.

Le sociologue américain Erving Goffman. l’un des plus fameux représentant du courant interactionniste [l’étude des interactions entre les individus], avait pour coutume de se demander, lorsqu’il débutait une étude : « Que se passe-t-il donc ici ? ». Rien de plus complexe que cette question. Car les choses sont plus complexes qu’elles ne semblent ou que nous voulons bien les voir. Un club libertin n’est pas qu’un endroit où des gens dansent, se séduisent et coquinent ensemble mais également un lieu où se jouent une myriade de codes et de normes, d’éléments verbaux et non-verbaux, une scène de théâtre géante. La sociologie a pour but de lever le voile sur nos pratiques quotidiennes, celles que nous faisons mécaniquement sans nous poser de questions. Elle nous explique pourquoi nos actions et la façon dont fonctionnent nos sociétés sont le résultat de petites interactions incessantes et permanentes, de normes et de représentations ainsi que d’habitudes profondément ancrées.

Étudier la sexualité permet donc de comprendre, entre autres, les ressorts de nos actions, de nos échanges avec les autres et de nos fantasmes. Pas tant pour tout savoir de nos pratiques – bien que cette tentation soit présente depuis longtemps en Occident comme le montre Michel Foucault – mais pour nous permettre de comprendre notre environnement, de prendre conscience des biais qui sous-tendent nos actes et nos pensées et donc pour pouvoir influencer nos vies comme nous l’entendons.

La sociologie et la sexualité ? Un couple fait pour s’entendre !


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