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Sans soutien-gorge

En entendant parler des femmes qui en 68 brûlaient leur soutien-gorges, je me suis toujours posé une question ridicule : Que portaient-elles, après ?

Elles n’allaient quand même pas rester toute la journée sans soutien-gorge ?

Elles n’allaient quand même pas rester toute la journée sans soutien-gorge, avec les seins qui se baladent ? Ça doit faire mal au dos, faire tomber les seins ! Je connaissais bien quelques personnes dont la poitrine discrète se passait quotidiennement de lingerie.

Mais, me semblait-il, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut faire lorsqu’on arbore un bonnet E. Si ? d’ailleurs, est-ce acceptable de ne pas masquer ses tétons ? Et d’avoir les seins qui bougent à chaque pas, n’est-ce pas grossier ? Et pour le sport, ce n’est pas dangereux ?

Poubelles de la liberté En fait les soutien gorges étaient jetés dans des “poubelles de la liberté”

En fait je n’avais pas l’ombre d’une source sérieuse pour soutenir ces affirmations. Certes, c’étaient des choses qui me faisaient peur. On m’avait dit, jeune adolescente, que mes seins tomberaient, que j’aurais mal au dos, ou que je serais indécente si je ne mettais pas de soutien-gorge.

Mais en même temps, j’avais toujours mal au dos, et les années de port du soutien-gorge n’ont jamais semblé sauver personne de la gravité. J’ai bien sûr passé des après-midis chez moi sans soutien-gorge, souvent avachie à tapoter sur un ordi. Mais sans sortir. Et en ayant mal au dos le soir, ou parfois seulement après quelques heures. Mais à y repenser, la position canap-ordi y était sûrement pour beaucoup.

J’ai voulu donner une réponse sincère à la question : Peut-on vraiment vivre sans soutien-gorge, avec une poitrine que l’industrie vestimentaire étiquette E ?

Quatre mois sans soutien-gorge

L’idée, au départ, était de tester cette hypothèse brièvement sur un week end prolongé, les premiers jours de mai 2014. La façon de m’assurer de mener l’expérience au bout fut simple : je n’emportais aucun soutien gorge dans mes bagages. De toute façon, je revenais quatre jour plus tard et je serais loin de chez moi. Depuis, je ne me suis résolue à en remettre que quatre fois, et l’expérience, en se prolongeant, a cessé d’en être une.

Eugène Delacroix - La liberté court sans soutif. Eugène Delacroix – “La liberté guidant le peuple”

Premières observations

Le premier jour, j’y pensais assez et j’étais un peu mal à l’aise. À la fin de la journée, je réalisais que personne n’avait fait la moindre remarque ni eu le moindre coup d’œil déplacé. En fait, tout le monde avait l’air de s’en foutre. Les jours suivants, je me sentais mieux et j’appréciais cette nouvelle liberté. Le bleu que m’avais laissé un énième “soutien gorge enfin parfaitement à ma taille” s’était déjà un peu estompé à la fin du week-end.

Dans les semaines qui ont suivi, je me suis rendue compte que mes vêtements tombaient assez différemment sans soutien-gorge. J’ai réalisé que mes seins n’avaient pas du tout, mais alors pas du tout la forme que je pensais sous mes vêtements, ou en tout cas vraiment pas celle que leur donnaient les soutien-gorges. Ils se placent très légèrement plus bas que là où les suspend un soutien-gorge. Ils apparaissent mieux séparés sous mes vêtements, plus étendus sur les côtés que ramassés devant, moins ronds qu’en forme de poire.

Mobiles, ils se déplacent doucement avec moi sans former le bloc auquel j’étais habituée. Leur forme naturelle est plus répartie et moins imposante. En fait, moi qui ai toujours été complexée par leur taille, je me suis sentie très à l’aise de me libérer de la mesure implicite. Qu’importe, que je fasse un bonnet D ou F, lorsqu’ils n’existent plus pour être moulés dans des bonnets ou des armatures calibrées.

Sur le long terme

Après deux mois, la peau sous mes seins, épaissie par des années de port de soutien-gorge, est devenue plus lisse et plus douce. J’apprécie de plus en plus la simplicité avec laquelle on peut s’habiller lorsqu’on n’a à prendre qu’un t-shirt, un jean et un sous-vêtement. Je n’ai jamais plus une armature qui me rentre dans le côté du sein au milieu de la journée.

agnes_sorel_x “Ouf”, soupira Agnès en desserrant son corset. Portrait d’Agnès Sorel – Jean Fouquet.

J’ai plutôt moins mal au dos, même s’il n’y a pas de révolution de ce côté. En revanche je me tiens beaucoup, beaucoup plus droite. En particulier sous une veste ou plusieures couches de vêtements, je ne sens plus ma poitrine compressée, et je trouve naturellement cette position droite qui ne m’était pas familière.

Après presque quatre mois (et deux semaines), mes seins n’ont pas l’air d’avoir bougé d’un iota, ni vers le haut, ni vers le bas. Je n’ai eu besoin de les contraindre dans un soutien-gorge ni pour courir, ni pour monter ou descendre des escaliers, ni pour faire du vélo. Dans tous ces cas ils balancent un peu, sans aucune sensation désagréable. Je ne sais pas vraiment s’ils bougent moins qu’avant ou si je m’y suis juste vite habituée.

Quelques questions

C’est confortable ?

Oui. Il y a quatre fois où j’en ai reporté :

La première pour une présentation importante, parce que j’étais habillée d’une façon plus guindée que d’habitude et que cela m’a semblé approprié.

Une fois parce que je supposais que ma robe préférée tomberait différemment sans. Depuis, j’ai découvert que je ne fais pas la différence, sauf que la dite robe est plus élégante sans bretelles surnuméraires ni bandeau qui dépasse dans le dos.

Enfin deux fois pour comparaison : l’une sur une longue sortie à vélo, l’une sur une balade à pied. Verdict : après des mois sans, je me sens désagréablement entravée dans un soutien-gorge. La contrainte est supportable, mais son absence est nettement plus confortable.

Alors, ça fait tomber les seins ?

Les soutifs n’empêchent pas les seins de tomber, ils les placent à un endroit différent, plus haut, où ils ont l’air de flotteurs antigravitationnels. Personne, en retirant un soutif, n’a jamais vu ses seins se tenir à l’exacte même place, dans l’exacte même forme. Le demi centimètre plus bas, où ils se placent naturellement, n’a rien de grave. Il était toujours là, masqué par le soutien-gorge. Certaines études auraient même tendance à montrer que le non-port du soutien gorge remonte les seins !

Dans une émission de France Culture, Jean-Denis Rouillon, médecin du sport au CHU de Besançon, affirme que le sein n’a pas besoin d’être suspendu, que le soutien gorge n’est pas une nécessité physiologique et que rien ne semble prouver qu’il empêche le sein de tomber.

Deux études dirigées par lui rapportent des conclusions similaires, ici tirées de leurs abstracts :

“Les résultats des mesures biométriques montrent une absence de ptose, une meilleure fermetée du sein et un développement des muscles avoisinants le sein.”

“Aucune étude n’a montré le rôle présumé du port du soutien-gorge contre le vieillissement accéléré du sein.[…] L’arrêt du port du soutien-gorge est bien supporté en termes de confort. Aucune des variables biométriques étudiées n’est l’objet d’une évolution défavorable. Les tissus composant le sein ne se distendent pas malgré une augmentation du volume mammaire. Le sein n’évolue pas vers la ptose et s’avère plus ferme. “

Et les tétons, et les seins qui bougent ?

Quand je marche ou que je cours, mes bras balancent, mes fesses bougent, mes cuisses gigotent, mes cheveux se baladent. Pourtant personne ne me recommande de les contraindre dans des arcs de plastique pour les masquer et les retenir. En effet, je ne suis pas un objet, les autres humains ne sont pas des brutes incapables de retenue, personne ne pense qu’en marchant, avec mes membres qui bougent, je fais quelque chose d’indécent.

Pink Bra Bazaar, lancer de soutien-gorge (2013) Un événement organisé en 2013 par Pink Bra Bazaar, une assoc’ de sensibilisation au cancer du sein. Le rapport avec le lancer de soutif est vague, mais tout le monde a l’air content.

Pourquoi en serait-il différemment de mes seins ? Parce que, comme une barbe, elle constitue un signe sexuel secondaire ? Je ne vois pas de raison valable pour qu’une partie de mon corps soit décrétée si hautement sexuelle qu’il ne suffise pas seulement de la couvrir pudiquement mais qu’il faille aller jusqu’à la contraindre physiquement à l’immobilité dans une forme spécifique. Personne ne conseille aux hommes de porter des soutiens-couilles pour leur éviter le scrotum-en-gant-de-toilette.

Quand mes seins, mes cuisses, mon cul, mes bras, mes jambes et mes cheveux se balancent parce que je me déplace, cela n’a pas de raison d’être indécent. Par ailleurs, soyons honnêtes : nous avons tous des tétons, et lorsqu’ils pointent, une épaisseur de tissu de plus n’y change pas grand chose.

Et c’est sexuel ? C’est pour plaire ?

 Jean-Germain Drouais - Les hommes aussi ont des tétons. Jean-Germain Drouais – “Torse d’homme renversé”

Si quelqu’un pose cette question, nous nous sommes très mal compris. Je ne doute pas qu’on puisse transgresser une norme pour le plaisir sexuel et l’excitation qui vont avec (et c’est très bien). Mais là, il s’agissait de quelque chose de tout à fait non sexuel, qui a trait aux contraintes sociales qui pèsent sur nos corps. Il s’agissait d’apprendre que le soutien gorge n’est qu’une option possible, alors qu’une idée pareille me semblait proprement inouïe.

Alors, pourquoi j’en remet pas ?

Ça fait (parfois) mal, ça compresse, ça coûte cher, ça ne répond pas à un besoin de santé, je préfère mes seins en forme de seins qu’en forme de soutifs, et j’en ai pourtant déjà mis tous les jours pendant plus de dix ans. Du coup, là, je n’ai aucune raison d’en porter régulièrement. J’ai opéré chirurgicalement (entendre: aux ciseaux) deux soutien-gorges que je trouve assez beaux pour en retirer les armatures. Si cela me prend, je pourrais ainsi les utiliser comme une parure, sans prétendre en faire un besoin physiologique et sans vraiment contraindre ma poitrine.

Baleines de soutien gorge Les sites de merceries offrent des baleines de soutien gorge pour quiconque voudrait au contraire en ajouter à ses soutiens-gorges trop confortables.

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