#44686
bzo
Participant

si je touche un peu cette chair, que je presse cette peau,

que j’y laisse lentement glisser un doigt ou deux,

juste comme cela, par curiosité,

pour percevoir sa consistance, au toucher,

ce que cela provoque en moi comme impression

 

car après tout,

c’est moi là dedans, c’est moi, tout cela,

ce paquet de viande, de sang, d’os et de nerfs,

je suis là-dedans, je suis fondu, là-dedans,

dans cette barbaque

 

mais j’ai beau insister,

presser la peau, m’y déplacer, essayer plus loin,

je ne perçois qu’un matériau souple, élastique, dense,

vaguement chaud

 

cependant dès que mes intentions changent,

se précisent,

que le désir s’allume en moi,

que mes mouvements se font plus lascifs

que mes doigts glissent plus langoureusement,

tout cela soudainement, semble comme prendre vie,

le décor change du tout au tout,

semble comme s’animer,

commence à réagir de plus en plus follement

et je ne sens plus du tout le matériau chair,

d’il y a quelques instants

 

non, je ressens un matériau brûlant, au contact,

comme vibrant avidement sous mes doigts,

réagissant instantanément au moindre toucher,

au moindre mouvement, au moindre changement de posture,

à la moindre contraction

 

ce matériau que je touche,  que je caresse,

que je presse, que je contracte, que je bouge,

semble, à présent, plus consister en un matériau immatériel,

j’ai beau essayer presser de plus en plus fort,

de me concentrer sur sa matière, sur sa matérialité,

essayer encore de percevoir sa réalité,

ce que je sais , enfin ce que je crois, être sa réalité,

il semble avoir été remplacé, momentanément

par un matériau vibrant, tout autre

qui a une toute autre réalité à me faire vivre,

qui est régi par de toutes autres règles, de toutes autres lois,

une autre temporalité aussi

 

s’est révélé soudainement, dans toute sa mystérieuse splendeur,

la face cachée de la barbaque, du sang, des os, des nerfs,

leur face, dérèglement sublime, leur face, communion folle,

leur face, du ciel et du soleil, plein la figure,

leur face vibrante, comme moulée dans le même matériau, sans âge

que le noyau de la terre,

à l’écoute du soupir lointain des étoiles